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En tant que Scrum Master, combien de fois ai-je pu lire ce genre de post-it dans une rétrospective :

La réponse immédiate est souvent qu’il faut augmenter la taille de l’équipe comme si c’était LA solution ultime.
Dans ma jeunesse (pas si lointaine), j’étais assez d’accord avec cette idée.
Mais comme bien souvent, les choses sont plus compliquées qu’il n’y parait.
Selon Wikipédia, une équipe c’est :
« un petit groupe d’individus partenaires dans un but commun. »
Bon, déjà, on annonce la couleur en terme d’effectif réduit.
Et ça recoupe les recommandations du guide Scrum de ne pas dépasser un effectif de 10 personnes au sein de la Scrum Team.
« La Scrum Team doit être suffisamment petite pour rester réactive et assez grande pour accomplir un travail significatif durant le Sprint, habituellement pas plus que de dix personnes. »
Et en effet, plus on augmente la taille d’une équipe, plus on augmente le coût de coordination :

Hé oui, passé un certain niveau, ajouter du monde est souvent contre-productif car on va passer plus de temps à synchroniser les actions des différents membres de l’équipe.
Alors vous pourriez vous dire, on s’en fout de la coordination il suffit que chacun produise à fond et on va battre des records.
Prenons un exemple simple :
La société ArboGreen est une société d’abattage d’arbres qui possède une équipe de 10 bûcherons bien costauds et tatoués et qui ne jurent que par le seul outil du vrai bûcheron qui se respecte : LA HACHE.
Le problème c’est que seulement la moitié des commandes sont honorées sur ce marché florissant.
Décision est prise de doubler l’équipe en embauchant 10 nouveaux bûcherons mais à l’ancienne donc qui n’utilisent que la hache.
Rien à faire de toutes ces âneries de modernisation et d’agilité (si si ça touche tous les secteurs), un bon bûcheron n’utilise que la hache.En plus, ça évite de former et d’investir dans le matériel et le chef d’équipe « Hank » un vieux bûcheron de 2 mètres ne jure que par la hache donc le sujet est clos. Et vous n’avez pas envie de contrarier Hank avouez le ;o).
Et voici que nos 20 titans attaquent leur 1er jour mais sans coordination. Et voilà que les arbres tombent dans tous les sens. Mais rapidement les premiers accidents apparaissent car un arbre qui vous tombe dessus… ben ça fait mal (même un petit je vous assure).
Finalement notre équipe augmentée se réduit rapidement, les charges liées aux accidents explosent et les commandes ne sont toujours pas honorées. »
NB : Cette société est totalement fictive ainsi que ce bon vieux Hank.
Sans coordination, sans alignement, on finit par produire moins avec plus de monde.
Si vous aviez pensé à une meilleure solution vous aussi, nous en reparlons plus bas.
Ensuite un certain Frederick Brooks (l’ingénieur pas le cinéaste Mel) nous apporte une petite loi sans prétention :
« Ajouter des personnes à un projet en retard accroît son retard. »
Le postulat est que toutes les tâches ne sont pas fractionnables et que les nouveaux arrivants vont faire perdre du temps aux équipes en place, tout particulièrement en temps de communication et de formation au contexte.
Le temps perdu est proportionnel à n(n-1) avec n égal au nombre de personnes impliquées. La taille d’une équipe influe donc comme une loi de rendement décroissant dans la productivité.
La figure suivante illustre bien la complexification des relations quand on augmente la taille de l’équipe :

L’exemple cité fréquemment pour illustrer la loi de Brooks est le suivant :
« Si une femme a besoin de 9 mois pour faire un enfant, 9 femmes ne feront pas cet enfant en 1 mois. »
Personne n’ayant démontré le contraire, nous dirons que ce M. Brooks est plein de bon sens.
Et d’ailleurs, enfonçons le clou avec un autre illustre américain, Bruce Wayne Tuckman qui nous apporte un modèle plein de sens en plus d’avoir un prénom trop classe.

Dans les années 60, Bruce W. Tuckman, docteur en psychologie américain, spécialiste des dynamiques de groupe, a identifié 4 étapes majeures dans le développement d’une équipe :
- La formation ( Forming ) : les membres se découvrent et apprennent à se connaître (rôles et missions). Le groupe n’est pas encore lié et ne constitue pas encore une équipe.
- Les tensions ( Storming ) : les collaborateurs expérimentent diverses façons de travailler ensemble. Des échanges parfois violents peuvent rapidement apparaitre sur des sujets variés comme l’organisation, la confrontations d’idées, les luttes de pouvoir, etc. L’attrait de la nouveauté se réduit et la performance de l’équipe dégringole ou au mieux stagne dans une ambiance délétère.
- La normalisation ( Norming ) : le groupe trouve ses marques petit à petit. Les relations de travail se sont mises en place et l’équipe établi ses premières règles de fonctionnement. La notion d’appartenance à l’équipe devient évidente pour chacun de ses membres.
- La performance ( Performing ) : l’équipe existe enfin ! Les liens se sont renforcés et sont désormais solides et l’équipe est soudée. Chacun travaille sereinement et cherche à atteindre les objectifs fixés. La confiance, le respect et la coopération sont de mise. L’efficacité et la productivité augmentent jour après jour.
Quelques années plus tard, il ajoutera l’étape de la dissolution ( Adjourning ) : comme tout système, l’équipe connaîtra aussi sa fin. Que ce soit pour enchaîner sur un autre projet ou parce-que le produit n’aura pas donné satisfaction c’est toujours un moment riche en émotions. Il faut accompagner le mouvement pour favoriser la création du nouveau système.
Suivant ce modèle, un bon manager va donc chercher à accélérer la formation de l’équipe, à l’accompagner dans la zone de turbulence afin d’en sortir rapidement, pour l’établir et la maintenir dans sa zone de performance.

Mais ce que nous apprend aussi ce modèle, c’est que tout changement dans la constitution d’une équipe provoquera un retour à la phase de Storming.
En effet, le ou les nouveaux éléments introduits dans le système vont aussi chercher leurs marques et bouleverser l’organisation d’un système performant et stable.
Alors encore une fois, attention de ne pas bouleverser une équipe quand les challenges sont importants.
Il faut anticiper le besoin afin de s’adapter en amont pour retrouver la performance avant le sprint final.
Maintenant, que nous avons étudié davantage la dynamique d’une équipe et cité plein d’Américains brillants revenons au début de cet article.

Pensez-vous maintenant que la réponse qu’il faut augmenter la taille de l’équipe est encore LA solution au problème.
> OUI ? Retourner au début de cet article, vous avez dû louper quelques lignes ;o)
> NON ? Bien avançons…
Alors comment on fait plus sans augmenter la taille de l’équipe et sans bosser comme des damnés.
Reprenons le cas de la société ArboGreen.
Augmenter l’effectif ? Ça n’a visiblement pas marché.
Et si nous regardions notre système, notre flux, nos outils, notre organisation en somme.
Comment augmenter la productivité de nos bûcherons forts, tatoués, adepte de la Hache absolue tout en assurant leur sécurité ?
Logiquement, ceux qui ont déjà croisé un agiliste doivent me voir arriver avec mes gros sabots « agiles ».

Arrêtons d’avancer la tête dans le guidon, en reproduisant les mêmes patterns organisationnels, en utilisant les mêmes outils souvent dépassés. Prenons le temps de regarder ce qui se fait et qui marche (ou pas) dans les autres équipes, dans les autres entreprises.
C’est quoi l’objectif pour l’équipe ?
Nous évoluons dans un monde en pleine accélération. Tout va plus vite, les plus rapides bouffent les plus lents. Si nous prenons les choses en main, nous restons maître de notre destin.
C’est quoi l’objectif pour une entreprise ?
Augmenter son CA et sa rentabilité. Et comment y arriver finalement ?
- Connaitre son marché et les attentes utilisateurs.
- Étudier et adapter ses processus et ses outils avec l’aide des équipes.
- Investir en formant ses salariés afin de travailler en toute sécurité.
- Investir en équipant les équipes d’outils performants.
- Maintenir de petites équipes (10 max) et leur affecter des secteurs distants (secteurs forestiers, Tribus Spotify, …).
- Établir un climat de collaboration positif pour obtenir l’adhésion de chacun pour créer une dynamique d’équipe (Performing) mais aussi d’entreprise.
- Accompagner ce bon vieux Hank dans la transition de l’entreprise afin de ne pas perdre son expérience inestimable.
- …
Et pour nous ça consiste en quoi ?
- Vision : être focus sur la vision de notre produit ou de notre service. Quel est notre but, notre étoile du Nord, notre raison d’être ? La partageons nous avec notre équipe pour qu’elle se définisse comme une équipe (cf. définition de l’équipe en haut de page) ?
- Valeur : être focus sur la valeur délivrée à nos utilisateurs plutôt que sur la quantité d’effort que l’on peut produire. Les solutions sont à chercher du côté du Design Thinking, des feedbacks utilisateurs (User Centrics), en s’appuyant sur la science de la donnée (Data scientist/Data analyst), en collaborant étroitement avec le marketing, …

- Transparence : être focus sur la liste de tâches (backlog).
Un backlog flou avec énormément d’éléments non gérés, que ce soit sur Jira, Youtrack, Salesforce, Zendesk, ou un board physique (là faut être fort quand même ;o), c’est un backlog non maîtrisé et du travail qui avance par à-coups et toujours dans l’urgence pour vous, mais aussi pour les autres services. - Processus : être focus sur le flux de travail. Sommes-nous certains de connaître et de maîtriser notre flux de travail ? Est-il efficient ? Est-il partagé avec l’équipe ? Si la réponse est non, Kanban est probablement la solution qu’il vous faut. Encore faut-il déjà se poser la question.
- Communication : être focus sur la sûreté psychologique au sein de notre équipe/service.
Patrick Lencioni nous apprend que pour qu’une équipe fonctionne bien, elle doit gravir plusieurs niveaux de confiance.
Quand la confiance est installée (niveau 1), les gens osent s’engager dans des discussions passionnées et parfois émotionnelles sans avoir peur d’être pénalisés.
Ceci ouvre la voie au deuxième niveau de maturité du modèle : la confrontation saine et les échanges en profondeur.
Cette confrontation saine garantissant l’engagement derrière les décisions (niveau de maturité 3).
Cet engagement acquis, chacun sera naturellement enclin à se sentir partie prenante des décisions et coresponsable de celles-ci (niveau de maturité 4).
Les membres de l’équipe font alors en sorte que les décisions se transforment en actes. Ils seront alors attentifs à ce que les actions auront produit, c’est-à-dire aux résultats (niveau maturité 5).
Et vous, à quel niveau se situe votre équipe dans cette pyramide de confiance ?
N’hésitez pas à faire un sondage anonyme pour obtenir des réponses pertinentes. Le but n’est pas de déclencher une guerre ouverte dans l’équipe, mais de soulever le tapis qui plombe son quotidien. Il faudra alors accompagner l’équipe par un coaching bienveillant. Armez-vous aussi d’une bonne maîtrise de la Communication Non Violente.

- Outils : être focus sur nos outils, mais aussi sur notre travail en tant qu’outil. Pour les développeurs, c’est simple, il faut regarder du côté de l’artisanat logiciel (Test Driven Development, pair-programing, architecture hexagonale, Domain Driven Design, …).
Et pour l’équipe, on va parler de qualité intrinsèque, de DevOPS, d’Accelerate, …
Alors êtes-vous assez focus pour porter votre équipe et aller au-delà de l’idée que c’est la ressource qui fait votre produit ?
Merci d’être arrivé au terme de cet article.
Cet article était ma première publication sur Linkedin et c’est donc logiquement ma première publication sur mon blog.
Des années se sont écoulées depuis et j’ai pu constater que toutes ces belles théories se vérifient sur le terrain.
N’hésitez pas à me faire part de vos remarques (le feedback, c’est la vie).
